jeudi 25 août 2011

Niagara


Scène I

La scène se passe au milieu d'une faune touristique légèrement malodorante, près de la rambarde qui surplombe les chutes Niagara.

Je suis tranquillement appuyé sur la rambarde, en train de prendre une photo, lorsqu'un jeune étudiant en petit imperméable jaune, le visage affublé de quelques longs poils qui pourraient se compter sur les doigts d'une main, se détache de son groupe (il voyage en groupe) et s'avance vers moi:

-LUI: "You must leave this spot because I want to have my picture taken."
-MOI: "????"
-LUI: "Sir, you must leave this spot right now because I want to have my picture taken."

Sous une mascarade d'extrême politesse, le ton est péremptoire et ne supporte pas la contradiction, héritage probable d'une éducation d'enfant-roi.

Ma tension artérielle augmente sans crier gare, et je le regarde fixement.

-LUI: "Sir, do you hear me?"

Ce que j'entends surtout, c'est le "fwoooooof" d'une décharge d'adrénaline subite, et le coup de tonnerre fulgurant de mon cerveau reptilien prenant les commandes de mon esprit sans crier gare.

Pendant un très court instant, devenu tout à fait primaire, je m'imagine en close-up l'envoyer valser par-dessus la rambarde, petit imperméable jaune et poils de barbe flottant au vent.

Heureusement, la vision est furtive et je redeviens vite une bête civilisée.

-MOI: "Yes, of course, I hear you very, very clearly", lui rèponds-je avec mon sourire le plus radieux.

Je sens que je vais rester très longtemps sur le spot convoité, et que j'aurai besoin de niagaras de précautions pour bien cadrer ma photo, analyser la lumière ambiante et expérimenter différents angles d'approche.

Je procède.

Mon héros semble étonné de ce soubresaut de l'univers, qui a cessé momentanément ne plus tourner autour de lui. Il s'éloigne avec une moue dégoûtée, et regagne son groupe.

Perhaps he heard me?

Interlude

Près des chutes. Un Tim Horton déjanté dans un mail non moins déjanté. J'attends en ligne pour un 'small coffee', et j'aperçois une petite affiche ainsi rédigée:

"Please respect the line/S'il vous plaît respectez la queue"

You bet.

Scène II

La scène se passe dans un minuscule café de Chippawa, non loin des chutes Niagara, au moment de régler l'addition de mon repas.

Les propriétaires, couple improbable constitué d'un sexagénaire obèse et un peu lunatique, et d'une matrone philippine d'une politesse un peu 'over' (sauf avec son mari), ont une discussion orageuse sur la composition du repas que je viens de terminer avec mon amie.

On dirait que je ne suis pas là.

-ELLE: "They both had the soup and sandwich combo."
-LUI: No, he had the combo, and she..."
-ELLE, légèrement tendue: "No, they had two combos."
-MOI, couvert par les éclats de voix du couple en dérive: "I had one combo, my friend had the soup and a..."
-ELLE, au bord de la crise de nerfs: "No, you had two combos and..."
-LUI, un peu perdu: "They..."
-ELLE, véritable obsédée du combo: "They had two 6.99$ combos and.."

Là, c'est assez, je pète les plombs.

"Listen, Madame, I had ONE combo, and my friend had a soup and that little cheese and spinach rubber thing that your husband heated in the microwave right here."

(Poli, je me retiens de rajouter: "and hardly edible".)

And no beverages."

(Non mais, est-ce que j'ai l'air d'un gars qui veut se pousser d'un resto en essayant d'économiser une piasse quatre-vingt-dix-neuf sur sa facture???)

Silence de mort.

-ELLE, obséquieuse: Oh, I am sorry Sir, I mixed your order with the customers at the other table."

On était quatre dans le café.

La scène se clôt sur des niagaras de "I am sorry, sir, I am sorry, sir..."

Un peu plus et elle m'embrasse les pieds.

En tout cas, j'ai économisé sur le pourboire.

Aucun commentaire: