vendredi 30 août 2013

Blog-Berry, ou la tarte aux bleuets du Lac St-Jean

La journée pourrait avoir commencé comme suit.

- L'Être Aimé: "...si on fait pas kekchose avec les bleuets aujourd'hui, on va les perdre."

- Moi (avec une nonchalance un peu étudiée): "Haaa....j'avais justement planifié de faire une tarte aujourd'hui, après avoir fini de couper le gazon..." Histoire de lui montrer que je n'ai pas juste ça à faire, des tartes.

Voici donc la recette de cette fameuse tarte aux bleuets. Il faut dire qu'ils ont été cueillis autour de St-Félicien par Jako et Catherine, et qu'ils nous les ont généreusement offerts lors de leur dernière visite.

1- Prenez un bon café, entamez votre journée, coupez votre gazon, faites l'épicerie et prenez ensuite une demi-journée de congé, de préférence par temps gris avec apparence de pluie. (De cette façon vous ne succomberez pas à la tentation de lézarder au soleil et provoquer ainsi la moisissure des bleuets du Lac St-Jean).

2- Prenez votre courage à deux mains et commencez.

3- Au son du 'bip' de votre téléphone qui vous avertit que votre adversaire vient de jouer 39 points sur 'Angry Words', prenez une minute et jouez 63 points.

4- Lisez la recette de pâte à tarte de votre mère (je ne partage pas la mienne, car tout le monde a une mère dont la "croûte-à-tarte-est-la-meilleure-et-la-plus-feuilletée-et-que-jamais-personne-blabla...etc."

Ma mère ne fait pas exception.

5- Jouez 32 points contre un autre adversaire sur 'Angry Words', et vérifiez vos courriels.

6- Ayez soin d'avoir préalablement réuni sur le comptoir: farine, rouleau à pâte, shortening, eau, sel; soyez assuré(e) d'avoir-tout aussi préalablement-chauffé le four à 425 degrés. Sinon, vous devrez déambuler avec les mains enfarinées, ce qui provoquera une tempête de farine dans la cuisine (que l'Être Aimé a passé une demi-journée à nettoyer pendant que vous coupiez le gazon), alors que vous tenterez d'ouvrir un tiroir avec votre pied chaussé de gougounes, et graisserez la surface de votre cuisinière en stainless, en essayant sans succès de démarrer le four avec l'ongle de votre auriculaire droit.

7- Si votre pâte est granuleuse ou adhère sur toutes les surfaces imaginables, y compris vos mains, ne perdez pas espoir. Refaites une petite boule et recommencez jusqu'à la consistance souhaitée. Le bon sens dicte de rajouter de la farine ou de l'eau, selon le résultat souhaité. 

Roulez vos abaisses avec conviction, très groundé, avec la certitude que tout va s'arranger.

8- Regardez votre fil d'actualités Facebook et faites quelques 'like', histoire de s'assurer de votre visibilité, et ainsi avoir la chance de récolter quelques 'like' de plus sur vos propres publications à venir. Jouez 25 points sur 'Angry Words'.

9- Vous aurez bien sûr pensé à laver les bleuets, environ 4 tasses, et les mélanger à une demi-tasse de sucre et un peu de farine. Si comme moi vous avez oublié ce matin d'acheter du sucre, vous aurez la chance que l'Être Aimé, plus que prévoyant,  ait gardé dans un petit contenant plein de petits sachets de sucre 'Tim Horton', que vous ouvrirez au-dessus de votre bol de bleuets, avec un intense soulagement, bien que la tendance soit au 'moins de sucre'. C'est pas obligé, d'être tendance.

10- Déposer les bleuets sur votre abaisse (morceau de pâte que l'on a étalé pour en garnir un moule), et couvrir avec une autre abaisse (autre morceau de pâte que l'on a étalé pour en garnir un moule). Prenez soin de ménager quelques petites ouvertures dans l'abaisse supérieure, afin que la vapeur puissse s'en échapper. (Si vous oubliez, ce n'est pas grave, car tout comme moi la pâte sera de toute façon pleine de trous, et le défi sera plutôt d'en boucher toutes les issues pour éviter un débordement 'intra-four'.) Badigeonner le dessus de votre tarte avec du lait (et vos doigts), un peu comme lorsque vous allez au soleil et vous enduisez de crème solaire. De toute façon, c'est pour donner à la tarte des reflets bronzés. Tant qu'à y être, saupoudrez un autre sachet de sucre 'Tim Hortons', juste pour l'agrément.

11- Il vous restera sans doute des bleuets qui n'entreront pas dans la tarte. 

Prenez une casserole, mettez les bleuets résiduels dedans, faites chauffer à feu doux pour 10 minutes, et demain matin vous aurez de la confiture de bleuets sur vos toasts. Et un chaudron de plus à laver.

12- Si votre Être Aimé entre à ce moment dans la cuisine et vous regarde vous battre avec la pâte, ne pétez pas votre coche et faites comme si vous ne l'aviez pas vu. Simulez une concentration extrême.

13- Votre four étant prêt depuis longtemps, et vous à bout de patience, crissez le tout dans le four en prenant soin a) de mettre une grande assiette à pizza recouverte de papier d'aluminium sous votre assiette à tarte, au cas où l'excédent de bleuets se mettrait à dégouliner dans votre four fraîchement nettoyé; b) ne pas oublier la foutue minuterie pour éviter que votre tarte ne crame ni ne carbonise, car à ce stade, vous ne pensez plus à rien, trop occupé à nettoyer la zone sinistrée qu'est devenue votre cuisine.

14- À ce stade, la minuterie du four devrait sonner au moment même où vous fléchissez les genoux pour vous asseoir, épuisé. 

15- Vaillamment, levez-vous, faites quelques étirements et sortez votre tarte du four.

Tout est parfait. 

Et vous avez sauvé les bleuets avant de les perdre.



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vendredi 23 août 2013

Simplicité volontaire?

Si j'ai vécu la plus grande partie de ma vie dans une abondance dont je m'estime assez privilégié, je dois dire que les quelques périodes plus frugales de 'simplicité' que j'ai vécues ont été plutôt...involontaires.

Bien que pas gaspilleur, je suis cependant assez peu enclin à la restriction spontanée. J'avoue bien volontiers préférer une journée dans un cinq étoiles, que cinq jours dans un une étoile. Ma maison pourrait loger aisément quelques personnes supplémentaires sans que le besoin d'espace individuel n'en souffre, et je conduis une voiture allemande dont le plus grand mérite n'est certes pas l'économie d'essence et la contribution à l'écologie. Et je fréquente à l'occasion les cinq étoiles. Et je préfère le Cru Bourgeois au vin de dépanneur.

Bref.

Il y a de cela quelques années, j'étais en compagnie d'une joyeuse bande d'amis, sur le bord d'un lac bordé de propriétés dont le standing dénotait un manque de simplicité bien volontaire. Nous étions donc paresseusement installés, chacun ayant son cellulaire 'up-to-date' en main, à discuter de l'endroit où passer l'hiver (serait-ce mieux en Australie, passablement lointaine,  ou alors quelqu'île dans les Caraïbes, ce qui permettrait de revenir plus facilement au Canada si la température devenait subitement assez clémente pour profiter de quelques jours de ski, ou alors des mérites de certains placements versus l'investissement dans l'immobilier dans le moyen terme...Il faut dire que le champagne aidant, les langues se délient. 

Surtout sous un soleil radieux.

La conversation a vite bifurqué sur le concept de 'simplicité volontaire', auquel mes amis et moi avouions en toute candeur en vanter les mérites et en être des adeptes convaincus. 

L'alcool peut altérer le jugement, semble-t-il.

Jusqu'à ce que l'un d'entre nous, dans un éclair de lucidité, ne s'exclame: 'Non mais nous entendez-vous parler?? Simplicité volontaire, HELLO?? On vit comme des millionnaires!"

On a tous éclaté de rire en choeur de l'incongruité flagrante de nos propos, somme toute assez contradictoires mais surtout inconscients.

Tare de baby boomer? Pas certain.

Plus récemment, une connaissance dans la jeune trentaine me demande d'aller la chercher et la reconduire chez elle, ce qui représente pour moi une promenade de 300 kilomètres et plusieurs heures sur l'autoroute 15...et quelques litres d'essence.

...

Offusquée de mon refus, elle m'explique qu'elle n'a pas de voiture 'parce qu'elle choisit de vivre selon le principe de simplicité volontaire et de conscience de l'écologie (principes louables en soi), mais qu'il est hors de question pour elle d'utiliser les transports en commun parce que son temps est trop précieux'.

ET LE MIEN, MON TEMPS?? 

Principes louables, mais l'application l'est-elle autant? Cette simplicité volontaire annoncée est-elle tributaire des ressources de personnes moins conscientisées comme moi? La pensée écologique s'estompe-t-elle lorsqu'une menace au confort de l'ego, si petite soit-elle, devient concrète?

La 'simplicité volontaire' serait-elle, comme l'a si bien souligné Douglas Coupland dans son essai 'Génération X', une sorte de "minimalisme voyant, la non-possession (réelle ou illusoire) de biens matériels étant un critère de supériorité morale ou intellectuelle"?

Entre l'image qu'on a de certains  aspects de nous même et les actes que nous posons dans notre vie, sommes-nous conséquents? Sommes-nous aussi contradictoires et illogiques dans la façon dont nous gérons nos relations, notre vie?

Oscar Wilde disait que l'"on commence par se tromper soi-même; ensuite on trompe les autres."

Se dire la vérité à soi-même, c'est peut-être un premier pas vers l'intégrité?

Et non, je ne pratique pas la simplicité volontaire. 

Et ce, bien volontairement.